Le démon de la colline aux loups – Dimitri Rouchon-Borie

Le démon de la colline aux loups de Dimitri Rouchon-Borie, Editions Le Tripode, 237 pages

Résumé éditeur : Un homme se retrouve en prison. Brutalisé dans sa mémoire et dans sa chair, il décide avant de mourir de nous livrer le récit de son destin.

Écrit dans un élan vertigineux, porté par une langue aussi fulgurante que bienveillante, Le Démon de la Colline aux Loups raconte un être, son enfance perdue, sa vie emplie de violence, de douleur et de rage, d’amour et de passion, de moments de lumière… Il dit sa solitude, immense, la condition humaine.

Le Démon de la Colline aux Loups est un premier roman. C’est surtout un flot ininterrompu d’images et de sensations, un texte étourdissant, une révélation littéraire.

Mon avis :


Ce livre ne laisse pas indifférent. On suit Duke qui est en prison et a un « parlement » bien à lui (c’est ainsi qu’il décrit sa façon de parler) c’est-à-dire presque enfantin. Il est adulte au moment du récit, il écrit le présent, mais remonte le récit de son enfance, ce qui l’a conduit en prison. Il le fait avec ses mots d’adulte, mais aussi en retranscrivant son regard d’enfant avec justesse puisque lorsqu’il raconte son enfance, il se souvient de ses pensées, de ses sensations à l’époque. Il ne réécrit pas l’histoire avec un regard d’adulte (bien qu’il puisse être présent, les souvenirs ne sont pas toujours précis) mais restitue ce qu’il a vécu comme il l’a vécu et perçu, en ayant un minimum de recul. On a même des remarques du Duke-enfant qui peuvent paraitre caustiques. La ponctuation est quasiment absente, la syntaxe parfois incorrecte, mais cela n’empêche pas les mots de percuter, bien au contraire.

« Je n’ai pas caché que je devais regarder les films sinon ils me promettaient pire et j’ai eu du mal à formuler les mots car mon corps vivait des choses et c’est comme si les plaies étaient encore là alors je l’ai dit et je commençais à confondre le langage avec la nausée. » p112

Je trouve que la façon d’écrire nous immerge dans le récit, tant on pourrait confondre le narrateur avec l’auteur. J’ajoute que si cela peut paraitre inconfortable au départ, on s’habitue rapidement à l’absence de ponctuation, le cerveau sait où trouver les pauses, mais il ne souffle pas beaucoup tant le récit nous tient en haleine.

On comprend rapidement que Duke vivait dans une famille terrible, qu’il était maltraité. Spoiler de quelques mots ici, car je ne m’y attendais pas mais peut-être qu’il vaut mieux être prévenu sur ce point car c’est un Trigger Warning (il faut surligner pour voir) :

Duke subit l’inceste

Et donc, on comprend vite qu’il n’a pas eu un accès précoce à l’instruction, ni à l’éducation et encore moins aux livres (sauf en prison) et qu’il écrit pour essayer de se comprendre, pour lui et ce qui reste de bon en lui. Cette difficulté lié au langage est d’ailleurs abordée et vient s’ajouter à la longue liste des freins vécus par Duke. J’ai trouvé ça vraiment pertinent.

« Quand j’ai pu avoir mon tour j’ai dit que j’avais un parlement qui n’était pas celui des gens et que je sentais bien que mes idées allaient plus loin que mes mots j’avais l’impression d’un type qui a la tête infatigable alors que ses jambes ne supportent pas le voyage. » p223

Il remonte le fil du démon, le fil de son enfance. L’auteur est chroniqueur judiciaire. Le passage du procès dans le livre est vraiment incroyable de réalisme. Je n’ai pas la prétention de connaître les Cours d’Assises, mais la psychologie du personnage à ce moment-là, ses observations, les réactions des coupables, des avocats… c’était saisissant.

J’ai moins aimé le dernier tiers (pourtant très bien, c’est juste que la partie sur l’enfance est tellement forte!), mais c’est une lecture vraiment prenante malgré les horreurs qu’on y lit. Je m’attendais à « pire », à de la violence graphique voire malsaine (c’était une de mes craintes). Là, rien ne nous est épargné, mais on est davantage dans la psyché de Duke. C’est brut, mais parce que ça raconte une vérité qui est cruelle, Duke ne prend aucun plaisir à raconter, il en a besoin pour comprendre ce qu’il a vécu. J’y ai trouvé des similitudes avec des récits autofictionnels que j’ai lus type Enfance de Sarraute car si mon souvenir est bon, elle se rappelle avec justesse son enfance et superpose le regard de l’enfant avec le regard un peu plus critique de l’adulte. J’ai eu l’impression de retrouver ce dédoublement et cette honnêteté (bien que fictive ici et dans un tout autre style, mais cela explique mon impression d’avoir lu un récit réaliste). Ainsi, l’auteur donne une voix à ceux qui, habituellement, n’en ont pas.

Vous l’aurez compris, j’ai vraiment beaucoup aimé ce livre et je pense relire cet auteur.


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